COVID 19 : comment Sénégal entend assurer la continuité pédagogique

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Par Rokhaya Fall Diawara et Tidiane Sall, UNESCO

La situation en Afrique suscite de grandes inquiétudes face à COVID-19. Parmi les 47 pays africains qui ont fermé leurs établissements scolaires et universitaires, 10 pays n’ont même pas encore de cas du virus. La pandémie du COVID 19 condamne ainsi plus de 280 millions d’enfants africains à rester chez eux. Cette situation déteindra encore sur les résultats scolaires dans un continent où le nombre d’enfants et d’adolescents qui n’apprennent pas étaient déjà estimés à plus de 200 millions en 2018.   Le gouvernement de Sénégal a fermé ses écoles le 16 mars – un des premiers sur le continent. Quelles mesures ont été prises pour assurer la continuité de l’enseignement et de l’apprentissage ?

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Image: Karel Prinsloo/ ARETE

Le cas du Sénégal

Suite à la fermeture des écoles au Sénégal, le Ministre de l’Education insiste sur les valeurs et fonctions de l’école, mais surtout reconnait les limites des options envisagées par l’Etat. Ce plan d’urgence se déroule dans un contexte scolaire caractérisé par un quantum horaire déficitaire et déjà fragilisé par des grèves à répétition ces dernières années. La préoccupation est de commencer avec quelque chose et d’œuvrer pour un modèle plus performant.

Un plan basé sur un partenariat stratégique: Le ministère de l’éducation nationale (MEN) a élaboré un plan de riposte en cohérence avec la stratégie nationale pilotée par le ministère de la Santé et de l’action Sociale. Ce plan couvre non seulement la période de l’épisode du coronavirus, mais également une posture d’anticipation allant jusqu’à une révision du calendrier et des modalités d’évaluation des apprentissages.

Le suivi de ce plan est confié à un Comité de veille, dirigé par le Ministre de l’Éducation nationale avec comme secrétaire exécutif le Chef de la Division du Contrôle médical scolaire qui siège à la Cellule nationale de lutte contre le virus. Il compte aussi parmi ses membres tous les directeurs et chefs de services nationaux du MEN, les représentants des organisations de parents d’élèves, les syndicats des enseignants, les associations des Daaras (écoles coraniques) et d’étudiants.

Continuité pédagogique : quelles options retenues ?

La Plateforme de ressources en ligne – une option avec des limites : Ce dispositif comprend, dans sa première phase, la collecte et la classification de ressources numériques et, dans une deuxième phase, la vulgarisation auprès des enseignants, des apprenants et des parents.  De façon concrète, le MEN a mis sur son site un espace intitulé « Apprendre à la maison » inspiré du dispositif de la France « Ma classe à la maison ».

Dans un pays où ’l’indice de développement des TIC (IDI) est à la 132ème place mondiale il sera difficile de réussir un tel pari. La première limite réside dans son caractère très inéquitable. Le taux de présence de la téléphonie mobile était de 116% en 2016, mais les possibilités d’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation (TICE) restent très limitées eu égard au coût afférent – infrastructures, frais de connexion à internet – dans un pays où 31% de la population vit avec moins de $1,90 en parité de pouvoir d’achat. Résultat ? Moins de 20% des élevés et étudiants ont la possibilité d’accéder à ces ressources en ligne.

La deuxième limite est son caractère pédagogique très loin des normes d’enseignement / apprentissage. Les ressources étant statiques, elles n’offrent aucune possibilité d’interactivité.

La troisième limite est le non-traitement des ressources. Elles ne sont pas classées par type de besoin pédagogique; on y trouve un mélange de ressources allant des contenus d’apprentissages autodirigés et autocorrigés à des épreuves d’examen et leurs corrigées.

La Téléformation, une option intermédiaire

Pour limiter les désavantages subis par ceux qui n’ont pas accès aux ressources digitales, le Ministère de l’Education Nationale a beaucoup misé sur l’utilisation de la radio et la télévision dont le taux de pénétration est de 75% selon le CNRA en 2018. Ainsi est née une collaboration stratégique entre le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Communication à travers ses services techniques Radiotélévision du Sénégal (RTS) et Télévision du Sénégal TDS-SA.

Des programmes proposés sont sous la responsabilité de la Division de la Radio et de la Télévision scolaire (DRTS) du MEN, son bras technique dans le domaine et qui capitalise une vingtaine d’années d’expérience dans le secteur des médias. Ces programmes seront repris en synchronisation avec les télévisions partenaires, les chaînes de télé et de radios régionales de la RTS, les radios communautaires pour les zones non couvertes par le signal ainsi que toutes les plateformes Web des différentes structures.

L’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) qui accueille des milliers d’étudiants avec non seulement les enseignements-apprentissages mais également des évaluations, constitue un creuset de compétences que le MEN est en train de mettre à contribution de même que le poumon technologique que constitue le Système d’Information et de Mangement du Ministère de l’Education nationale (SIMEN).

Les télévisions privées se mobilisent également avec des émissions comme « Salle des Profs » sur la TFM, « e-école » sur la chaîne E-TV entre autres.

La première limite de cette option réside dans les délais d’exécution. Un défi urgent est de trouver des moyens techniques et des équipements audiovisuels adaptés pour la DRTS.

En plus, une telle option exige l’identification rapide d’enseignant(e)s qualifié(e)s pour faire de la téléformation prête à être utilisable face à l’urgence dans la production.  A cela s’ajoute enfin la nécessité de scénariser les cours et de communiquer sur l’agenda de travail avec une assurance qualité des programmes offerts. Une téléformation a des exigences. La qualité des images, la démarche pédagogique, le niveau taxonomique, le style de la séquence, la visibilité et la lisibilité… doivent tous être aux normes.

Quels besoins urgents ?

Le Sénégal démontre d’affiche une volonté claire de jeter les premiers jalons de la résilience éducative face à cette crise. Dans le cas des solutions proposées, il est urgent de se pencher sur a) le véritable rôle que pourraient et devraient jouer les enseignants armés avec plus de formation professionnelle dans l’enseignement à distance ; b) d’élargir les partenariats stratégiques comme celui avec la RTS aux compagnies de téléphonie par exemple pour palier l’épineuse question de connections ; c) aux possibilités d’équipement de la DRTS et d’acquisition de matériels TIC pour accompagner les apprenants et les enseignants ; d) de la création de vraies plateformes numériques capables de lever le défi de l’apprentissage à domicile.

L’UNESCO vient de lancer la Coalition Globale de l’éducation face au COVID 19. Plusieurs agences, sociétés privées, philanthropes et pays sont membres. L’UNESCO a déjà commencé un appui au Sénégal dans l’élaboration de son plan d’action et surtout dans sa stratégie de mobilisation de ressources pour sa mise en œuvre. Des projets intéressants sur la formation des enseignants pour assurer un enseignement à distance de qualité pour les élèves en cas d’urgence sont aussi en réflexion. Rien n’est assuré dans une crise inattendue, mais la volonté de trouver de solutions, comme on le voit clairement au Sénégal, constitue une opportunité pour un vrai soutien multilatéral, et l’UNESCO entend le soutenir.

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