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La langue compte, elle compte beaucoup

Le 21 février, Journée internationale de la langue maternelle, l’UNESCO appelle les pays à apporter aux enfants un enseignement dans leur langue maternelle pendant les premières années de leur scolarité, langue qui peut être associée à la langue officielle d’enseignement : cette démarche est connue sous le nom d’éducation multilingue.

Comme le démontre la Base de données mondiale sur les inégalités dans l’éducation (WIDE) , les enfants qui reçoivent un enseignement dans une langue qu’ils parlent à la maison ont 30% plus de chances de savoir lire en comprenant ce qui est écrit à la fin de l’école primaire que ceux qui ne parlent pas la langue d’enseignement.

Bon nombre des pays les plus diversifiés sur le plan linguistique se trouvent en Afrique.

L’apprentissage multilingue est coûteux à mettre en place et les politiques qui s’y rapportent comportent des connotations politiques et culturelles, ce qui signifie que ce n’est pas toujours aussi facile à instaurer que ça en a l’air. Pourtant, le changement en vaut la peine. Notre récent Rapport Pleins Feux sur l’achèvement de l’enseignement primaire et les apprentissages fondamentaux en Afrique, Nés pour apprendre, montre qu’un enfant sur cinq tout au plus reçoit un enseignement dans sa langue maternelle en Afrique, continent qui présente la plus grande diversité linguistique.

Probabilité que deux individus sélectionnés au hasard aient des langues maternelles différentes, 2017

En Côte d’Ivoire, par exemple, pays qui compte quelque 80 langues différentes, un peu moins d’un quart des élèves parlent le français à la maison, mais c’est pourtant la langue d’enseignement. La proportion varie de 41% dans les zones urbaines à seulement 11% dans les zones rurales. Au Congo, 36% des élèves reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle, mais ce pourcentage n’est que de 15% dans les zones rurales. Cette situation est préjudiciable pour les résultats d’apprentissage sur le continent, où tout au plus un élève sur cinq maîtrise les bases de la lecture, de l’écriture et des mathématiques à la fin de l’école primaire.

L’une des conséquences de l’usage d’une langue plutôt qu’une autre est de réduire la motivation des enfants à rester à l’école. Lorsqu’ils ne suivent pas un enseignement dans la langue qu’ils parlent à la maison, les enfants éprouvent des difficultés à suivre les instructions et se sentent détachés du processus d’apprentissage. Lorsque la langue d’enseignement n’est ni celle des parents ni celle des enfants, les élèves ne peuvent pas bénéficier du soutien parental.

Le rapport Nés pour apprendre a braqué les projecteurs sur le Mozambique, où l’apprentissage multilingue est une vraie avancée. Récemment le pays a étendu l’éducation bilingue à 25% des écoles grâce à un nouveau programme de formation des enseignants. Les enfants qui étudient dans ces écoles obtiennent des résultats supérieurs d’environ 15% en lecture et en mathématiques de base. Pour faire en sorte que cette réussite s’étende à l’ensemble du continent, la communauté internationale doit mobiliser davantage de fonds au profit des pays africains qui investissent dans ce domaine.

 

 

Maintenir le cap pendant six ans

Le consensus est le suivant : les enfants doivent recevoir une éducation dans leur langue maternelle pendant au moins six ans pour constater des bénéfices à long terme, ou sur une période de huit ans dans les environnements avec peu de ressources. Cependant, malgré ces données factuelles, la transition vers la langue d’enseignement officielle se produit encore souvent trop tôt pour que l’enseignement de la langue parlée à la maison soit bénéfique.

On peut constater la nécessité d’offrir six années d’enseignement dans la langue maternelle dans les pays où les politiques linguistiques varient selon les régions. En Éthiopie, les élèves des régions qui passent à l’anglais après huit ans d’enseignement dans la langue maternelle obtiennent de meilleurs résultats, dans toute une série de disciplines, que ceux qui passent à l’anglais plus tôt, même ceux des régions plus riches. Des résultats comparables ont été observés dans toute l’Afrique, notamment au Burkina Faso, au Cameroun, au Mali et au Nigeria.

La politique adoptée n’est qu’un début

Les réformes qui introduisent l’éducation bilingue doivent porter sur une série de paramètres pour être réellement efficaces. Adopter une politique linguistique n’est qu’un début. Les pays doivent élaborer des programmes d’études, du matériel pédagogique et d’apprentissage, développer la formation des enseignants, et parvenir à un consensus entourant cette politique.

Même lorsque la volonté d’agir est clairement exprimée, la mise en œuvre peut néanmoins s’avérer difficile.  En Afrique francophone, le français devient souvent la seule langue d’enseignement à partir du CM1, voire du CE2, notamment par manque de ressources financières ou humaines. Le Niger avait une politique claire visant à développer les écoles bilingues dans certaines parties du pays, avec la langue locale comme principale langue d’enseignement et le français introduit progressivement à partir du CP, pour atteindre une répartition de 50% entre les deux langues en CM2. Toutefois, le manque d’enseignants formés a conduit certaines écoles à supprimer complètement la langue locale et à n’enseigner qu’en français dès le CE2.

Mais dans la mesure où les niveaux d’apprentissage sont si bas depuis des générations, il est peut-être temps d’arrêter de repousser les choix difficiles et de trouver un moyen de les faire aboutir.

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