Coronavirus: la France a appelé à la continuité pédagogique

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Par Anna Cristina D’Addio, Responsable Principal de Projet, GEM Report (UNESCO), membre du nouveau Conseil d’Evaluation de l’Ecole et mère d’une élève du collège en France.

La France a fermé toutes les écoles, collèges, lycées et universités le 16 mars 2020 pour aider à freiner la propagation du coronavirus (Covid-19). Nous avons appris ce lundi que les écoles, collèges et lycées pourraient, en principe,  commencer à ouvrir progressivement à partir du 11 mai, tandis que l’enseignement supérieur continuera à distance jusqu’à l’été. Lors de ces fermetures, le ministre de l’Éducation a appelé à la «continuité pédagogique». Cela signifie que « Le lien avec l’école et les apprentissages doit être maintenu sous des formes différentes. Il est important que chaque élève, qu’il ait une connexion internet ou non, bénéficie de cette continuité. » Mais comment cela marche-t-il en pratique ?

Hormis les 20 000 enfants des travailleurs engagés en première ligne dans la lutte contre le virus qui continuent l’école grâce à des professeurs volontaires héroïques, le reste du pays est passé à l’enseignement à distance. D’une certaine manière, la France était bien positionnée pour ce virage. En effet, dès 2016, son plan numérique pour l’éducation et sa réforme des programmes d’études ont mis en place des banques de ressources numériques (BRNE). Celles-ci permettent de créer des activités pédagogiques et des cours, un suivi et une évaluation de groupes ou d’élèves de la 4e année du primaire à la 3e année du premier cycle du secondaire.

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Image: woodleywonderworks

La France disposait déjà d’un Centre national d’enseignement à distance (CNED). Dès la fermeture de l’école, «Ma classe à la maison» a permis d’offrir  du contenu en ligne pour les élèves du primaire, du collège et du lycée. En plus des cours, des tâches à compléter et d’autres supports pédagogiques, la plateforme permet aussi de tenir les leçons par visioconférence. Les sites Web du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation proposent aussi une multitude de ressources. Chaque Académie peut mettre également  à disposition ses propres ressources sur ses propres sites.

Des «Environnements (Espaces) Numériques de Travail» (ENT) tels que EcoleDirecte, ProNote and One,  (c’est-à-dire des intranets spécifiques à chaque établissement, et par lesquels les étudiants, leurs parents  et les professeurs partagent les cours, les exercices et des messages) existent également. L’usage de ces outils est généralisé dans les collèges et lycées, mais beaucoup moins dans les écoles primaires et en maternelle.

Pour les élèves sans ordinateur à la maison ou sans connexion Internet, la continuité pédagogique se décline autrement.

La continuité pédagogique fonctionne-t-elle efficacement?

Comme pour chacun de nous, le CNED a eu besoin d’un certain temps pour adapter sa plateforme et pouvoir servir les élèves de tout un pays en même temps. Des problèmes ont été enregistrés en raison du grand nombre d’utilisateurs qui tentaient de se connecter en même temps. Au même moment, alors qu’une professeure faisait la une des journaux en disant que l’ENT fonctionnait si bien qu’elle continuerait probablement à l’utiliser même lorsque l’école reprendrait, pour beaucoup d’autres la situation a été bien différente le premier jour d’utilisation, et dans certains cas, pendant plusieurs jours.

La saturation des plateformes d’éducation en ligne, les bogues et autres problèmes de serveur ont fait la une des médias. Dans de nombreux cas, les pages d’accueil étaient accessibles, mais pas les espaces personnels. Les professeurs se sentaient également impuissants, soit parce que les outils n’étaient pas accessibles, soit parce qu’ils sentaient le besoin d’une formation pour pouvoir les utiliser.

L’adaptabilité des professeurs, une communication claire et la créativité sont importantes

En tant que mère d’une élève du collège, je suis en train de faire l’expérience de la «continuité pédagogique». Ma conviction est que les chefs d’établissement et les professeurs sont la clé de son succès. Leur résilience, leur capacité à comprendre et à répondre aux divers besoins des familles se révèlent être des ressources exceptionnelles. Beaucoup font preuve d’innovation. Une professeure  d’un collège d’Aubervilliers (Rep +) a mis en place avec une collègue, un fil de discussion via l’ENT pour discuter avec les élèves et utilise un lecteur partagé pour distribuer les contenus et réviser les devoirs. Une autre utilise Snapchat pour rejoindre le groupe de discussion de sa classe. D’autres utilisent des chaînes Youtube personnelles pour présenter les leçons et les corrections des devoirs. Les professeurs utilisent plusieurs applications différentes, comme Google Hangouts et Drive, Discord, Moodle, @RocketChat. Et ils participent à des formations qu’ils auraient rarement suivies auparavant : 332 professeurs des académies de Nancy et Metz ont suivi la formation #Moodle par exemple.

De nombreux acteurs soutiennent le gouvernement dans cette tâche

Dans l’enseignement supérieur, une page web détaille 99 initiatives, répertoriées par domaines thématiques, régions et acteurs (universités, bibliothèques, CROUS, conservatoires, Grandes Ecoles, etc.). Des Académies à travers la France ont mis en place des initiatives, par exemple à Limoges, Lyon et Strasbourg. Et dans les académies, les GRETA (un groupe d’établissements publics d’enseignement local (EPLE)) dispensent également au adultes des formations aux outils numériques.

Des fondations, des entreprises et des ONG se sont également mobilisées. Le réseau Canopé a développé une bibliothèque virtuelle avec de nombreuses ressources pour la formation numérique. Les sociétés françaises EdTech ont mis à disposition leur savoir-faire gratuitement et sans condition via un portail solidaire. Twitter, Instagram, Facebook, Youtube et d’autres réseaux sociaux et médias diffusent des milliers d’initiatives développées par les élèves, les professeurs et les parents pour tout niveau d’éducation. La chaîne Youtube “les bons profs“, gérée par des professeurs de l’éducation nationale, avec 180 millions de vues cumulées, est une plateforme d’apprentissage populaire. Avec le projet Voltaire, les professeurs, du collège au lycée, peuvent partager leurs cours avec les étudiants sur demande de ces derniers. La même solution existe pour ceux qui veulent progresser en mathématiques, via KWYK. La plupart des plateformes ont également rendu l’accès gratuit aux étudiants (par exemple Maxicours, Schoolmoov, Studytracks, etc.).

Un ensemble d’initiatives et de ressources pédagogiques pour les étudiants en situation d’handicap, destinées aux enseignants et aux familles, ont été regroupées sur Eduscol. A l’initiative du Réseau Canopé, la plateforme numérique Cap Ecole Inclusive est désormais entièrement accessible gratuitement.

Pourtant, les fractures numériques et territoriales demeurent

Le risque de fractures sociales et numériques découlant de ces fermetures est réel. On estime qu’entre 5 à 8% des élèves ont déjà complètement perdu le contact avec leurs professeurs et le système éducatif. Certains ne sont pas équipés, d’autres ne peuvent pas se connecter ou n’ont qu’un seul ordinateur pour toute la famille.

Selon un rapport de 2019 de l’INSEE, 77% des ménages en France étaient équipés d’un ordinateur (portable ou de bureau), tablette ou netbook en 2017. Mais cela dépend de leur niveau de vie et d’où ils résident en France. Parmi le 20% des ménages les plus modestes, le taux d’équipement en ordinateur était de 71% et 77% avaient une connexion Internet, contre respectivement 92% et 94% parmi le 20% des ménages les plus aisés. Dans les communes rurales ou les zones urbaines de moins de 200 000 habitants, 80% ont accès à Internet, contre 84% dans les zones urbaines de plus de 200 000 habitants et 87% à Paris. Le haut débit est également moins fréquent dans les zones rurales que dans les zones urbaines, les différences dépendant également de la taille de l’agglomération.

La connexion à Internet haut débit dépend fortement de l’endroit où les gens vivent

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Taux d’équipement en ordinateur selon le niveau de vie 

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Source: INSEE

Le ministre de l’Éducation a détaillé plusieurs façons de remédier à cela. Un accord a été signé avec La Poste pour permettre aux professeurs d’envoyer le matériel nécessaire imprimé à des élèves non équipés numériquement ou non connectés. Les établissements d’enseignement sont aussi invités à contacter les familles par téléphone une fois par semaine. Plusieurs acteurs, dont des ONG comme Emmaüs Connect; et des fondations telles que la Fondation de France contribuent également à la distribution d’équipements numériques là où ils sont nécessaires. Les chaînes de télévision et radio de France Télévision, Radio France, Arte et l’équipe pédagogique française proposent des contenus sur deux plateformes pédagogiques : Lumni (exemple de programmation pour le collège ci-dessous) et Educ’ARTE. Les programmes peuvent être diffusés en continu ou rejoués, y compris sous forme de podcasts.

L’engagement envers l’éducation fait la différence

Même si certaines enquêtes internationales suggèrent qu’en France, les compétences pédagogiques et techniques des professeurs pour intégrer les outils numériques dans l’enseignement sont inférieures à la moyenne de l’OCDE, la réalité montre que c’est l’engagement de l’ensemble de la communauté éducative qui fait la différence. La créativité, les compétences et l’adaptabilité des professeurs, la direction de l’école et la participation des parents et de plusieurs acteurs aux niveaux national et local ont montré leur véritable utilité pour empêcher à terme l’effondrement de l’éducation.

Certains se plaindront sans doute des échecs, mais il semble important de souligner la leçon que nous en aurons également tirée en cours de route. Ceci est résumé dans un commentaire récent que j’ai lu  qui dit « Chaque professeur décide des outils qu’il utilise ». Et ils réussissent grâce à cette manière flexible de travailler, faisant preuve d’une résilience et d’une adaptabilité énormes, montrant qu’ils peuvent travailler avec plusieurs outils pour rester en contact avec les élèves et qu’ils sont désireux d’en savoir plus. Cela donne de l’espoir à la France. Si nous pouvons favoriser cet esprit, cela pourrait vraiment ouvrir des portes afin que l’éducation joue son rôle et transforme des vies.

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