Teacher in her class
GPE / Kelley Lynch

Pour renouer avec la promesse de l’éducation, donnons la priorité à nos enseignants

Par Susan Hopgood, Présidente de l’Internationale de l’Education                                                        

À l’heure où le Groupe de haut niveau des Nations unies sur la profession d’enseignant publie ses recommandations, je prends la parole à la fois en qualité de membre du Groupe et de Présidente de l’Internationale de l’éducation, organisme qui représente les professionnels de l’éducation du monde entier. Depuis plus de 30 ans, notre fédération, qui regroupe 373 organisations membres dans 180 pays et territoires – représentant 32 millions d’enseignants et de professionnels de l’éducation – s’est engagée à faire en sorte que chaque enfant ait accès à un enseignant qualifié et soutenu dans son travail, ainsi qu’à un environnement pédagogique de qualité.

Cependant, la promesse d’une éducation de qualité pour tous demeure hors d’atteinte en raison du problème persistant du financement. Malgré les engagements pris au niveau mondial, de nombreux pays n’allouent pas suffisamment de fonds publics à leurs systèmes éducatifs. Sans augmentation significative du financement, parvenir à une éducation inclusive et de qualité pour tous les élèves et partout dans le monde d’ici 2030 reste un objectif très éloigné.

En raison d’un sous-investissement chronique dans l’éducation, nous sommes aujourd’hui aux prises avec une crise de plus en plus grave, une pénurie mondiale sans précédent de 44 millions d’enseignants, des ressources affectées au système éducatif en baisse dans 65% des pays à revenu faible et intermédiaire et 33% des pays à revenu moyen supérieur et élevé depuis le début de la pandémie, et littéralement la moitié de la population mondiale vivant dans des pays qui dépensent plus pour payer les intérêts de la dette que pour l’éducation ou la santé. La crise est si aiguë que le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a convoqué le Groupe de haut niveau sur la profession d’enseignant afin de trouver des solutions pour atteindre nos objectifs communs en matière d’éducation au niveau mondial.

Le processus qui a permis au groupe d’experts de formuler ses recommandations a été nourri par des rapports provenant de toutes les régions du monde. De la France au Tchad, en passant par l’Australie et le Mexique, les consultations ont mis en lumière les réalités brutales et les nombreux défis auxquels est confrontée la profession d’enseignant. En France, nous avons découvert que certaines classes ne disposaient pas d’enseignants à temps plein et que le recours à des contractuels était de plus en plus fréquent. Au Tchad, pays où l’on estime que 67% des enseignants n’ont pas les qualifications requises, l’appel au recrutement et à la formation de professionnels a retenti haut et fort. Les professionnels de l’éducation en Allemagne ont signalé la perte de 80 000 enseignants, tandis qu’en Écosse, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes dans le secteur de l’éducation a révélé une inégalité persistante, mettant en évidence la tendance mondiale à la sous-évaluation du travail des femmes.

Dans la même optique, en Norvège, les éducateurs ont souligné le besoin d’amélioration des voies d’évolution professionnelle et du soutien aux enseignants, pour encourager ces derniers à rester en poste, évoquant également la question plus générale du bien-être et de la satisfaction professionnelle des enseignants. Au Togo, bien que le pays dispose d’un grand nombre d’enseignants qualifiés, les contraintes financières limitent fortement la capacité à recruter et à garder ces professionnels en fonction, ce qui reflète le défi que représente le financement de l’éducation à l’échelle mondiale. La situation du Sri Lanka, tout comme celle de l’Australie, fait ressortir la disparité entre zones rurales et urbaines, les premières étant confrontées à un manque significatif d’enseignants, ce qui démontre le besoin de politiques ciblées visant à encourager l’enseignement dans les zones mal desservies. Le cas du Mexique où le dialogue social a permis d’améliorer les conditions de travail des enseignants nous a rappelé que le changement est possible grâce à l’action collective.

Ces témoignages soulignent combien il est important d’aborder la crise de la pénurie d’enseignants comme un phénomène mondial nécessitant une action concertée et collaborative.

Une promesse faite à chaque enfant

La voie à suivre de toute urgence est clairement tracée. Tout d’abord, les gouvernements et les autorités de tous niveaux doivent relever le défi pressant que constitue l’investissement substantiel nécessaire dans la profession d’enseignant. Comme le précise la recommandation 17 du Groupe d’experts : « Le financement à long terme d’enseignants qualifiés et bien soutenus est un investissement dans la qualité et la durabilité des systèmes d’éducation »

Il s’agit notamment de faire en sorte que les enseignants puissent percevoir des salaires attrayants, comparables à ceux d’autres professions exigeant un niveau d’éducation comparable. La recherche en économie du travail met régulièrement en évidence le fait qu’une rémunération compétitive est essentielle pour attirer et retenir des professionnels de l’éducation compétents.

Par ailleurs, il est tout aussi nécessaire de s’attaquer à la charge de travail écrasante des enseignants, en leur accordant suffisamment de temps pour organiser leur travail, établir des collaborations et trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. L’augmentation des tâches administratives et l’effondrement des dispositifs de soutien ont considérablement accru les pressions et les responsabilités pesant sur les enseignants, entraînant des phénomènes de surmenage et des répercussions négatives pour l’apprentissage des élèves.

En outre, il faut inverser la tendance actuelle à la précarisation et à l’insécurité de l’emploi dans le secteur de l’enseignement. En effet, l’évolution vers des contrats de travail précaires et la baisse des salaires, surtout si l’on tient compte du caractère différencié selon le genre de ces tendances, ont rendu la profession moins attrayante. Le Groupe d’experts préconise explicitement de mettre fin à l’emploi précaire et aux contrats temporaires.

Le Groupe d’experts de haut niveau souligne qu’il est essentiel de valoriser et de respecter les enseignants, en insistant sur le fait que le dialogue social et la négociation collective sont essentiels pour leur permettre d’être au cœur des processus de prise de décision, de voir leur expertise pédagogique reconnue et pour leur donner un rôle actif dans la conception et le développement de systèmes d’éducation équitables, inclusifs et capables de répondre aux besoins de tous les élèves.

Investir dans ces domaines constitue une condition essentielle pour revaloriser la profession d’enseignant et faire en sorte que chaque enfant ait accès à un enseignant qualifié, respecté et bénéficiant d’un soutien adéquat, aujourd’hui et pour les générations à venir. Cela suppose de procéder à une analyse et à une planification exhaustives des ressources humaines et de donner un nouveau souffle aux systèmes d’enseignement public qui ont souffert des politiques favorisant les réformes guidées par l’économie de marché, l’austérité et la déréglementation.

Les recommandations du Groupe d’experts invitent également à réévaluer le rôle joué par les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, et à abandonner les politiques qui ont affaibli l’enseignement et l’apprentissage, telles que les mesures visant à inciter les pays à réduire la masse salariale du secteur public.

En tant que porte-parole de la profession enseignante au niveau mondial, l’Internationale de l’Education s’engage à plaider sans relâche pour la mise en œuvre de ces recommandations à tous les niveaux de gouvernance. Au niveau mondial, nos organisations membres sont unies autour d’une campagne – La force du public : Ensemble on fait école !pour tenir les gouvernements comptables de leurs obligations en matière de financement complet des systèmes d’éducation publique et d’investissement dans la profession d’enseignant. Aucun enfant ne devrait être privé de son droit à l’éducation et aucun enseignant ne devrait travailler dans des conditions qui dévalorisent sa contribution essentielle à la société.

Le moment est venu de prendre des mesures décisives et de tenir les promesses de l’éducation publique pour le renforcement de l’autonomie, de l’égalité et de la justice sociale. Il est temps de redonner force à l’éducation publique en la finançant et de faire école ensemble !

 

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